« La prévention du suicide n’est pas assez prise en compte au travail »

En Belgique, 5 personnes se suicident chaque jour. Dans un classement de 15 pays européens, la Belgique totalise le plus grand nombre de décès par suicide, tant chez les hommes que chez les femmes. En tant qu’employeur, il importe donc de mener une politique de prévention active en la matière. « Créez un contexte rassurant où chacun peut se livrer en toute confiance et orientez la personne à temps vers un service d’aide. »

Le bien-être mental est encore souvent un sujet tabou, particulièrement dans le contexte professionnel. Et c’est encore plus vrai pour ce qui est de la prévention du suicide. « Il n’est pas facile d’aborder cette thématique avec les entreprises. Souvent, ce n’est pas une priorité ou on a tendance à nier ces problèmes », explique Kirsten O, conseillère en prévention aspects psychosociaux chez Mensura. Pourtant, les chiffres dépeignent une réalité différente. « En 2021, 5 % de toutes les interventions psychosociales concernant des incidents critiques sur le lieu de travail étaient liées au suicide. Et il ne s’agit là que des cas recensés. Le nombre de travailleurs directement ou indirectement confrontés à des pensées suicidaires est donc encore plus élevé. »

Concrètement, il s’agit d’amorcer le dialogue avec les collaborateurs ayant des pensées suicidaires, ou d’accompagner les collègues lorsque l’un des leurs met fin à ses jours. « Un suicide ou une tentative de suicide touche non seulement la personne concernée, mais aussi de nombreux collègues au sein de l’organisation. Ce phénomène est souvent sous-estimé », déclare Daisy Buttiens, conseillère en prévention et auteure du livre Verder na zelfmoorddoding.

« Nous pensons trop souvent que nous devons être forts comme un chêne, mais une violente tempête peut abattre un arbre de cette envergure. Le roseau n’est certes pas aussi solide, mais face au vent, lui se plie et se redresse. Sur le lieu de travail, cette métaphore démontre que le fait d’être “absent” pendant quelques semaines ou quelques mois pour prendre soin de soi est moins radical pour l’individu et l’organisation qu’une grave dépression ou une tentative de suicide. »
 

L’espoir est essentiel

Une politique de prévention du suicide doit aussi bien tenir compte de l’approche individuelle que de l’approche collective. Sur le plan individuel, le suicide doit faire partie des sujets qu’il est possible d’aborder en toute sécurité et en toute confiance. Les collaborateurs RH et les personnes de confiance devraient idéalement y être formés. Kirsten O : « Pouvoir aborder les sujets difficiles comme les pensées suicidaires ou savoir orienter quelqu’un vers un thérapeute, si nécessaire, sont des compétences essentielles. Plus les difficultés mentales sont identifiées et traitées de manière précoce, plus les chances de rétablissement sont grandes. »

« Collectivement, il est important de ne pas s’aventurer trop loin sur ce sujet précis, car cela peut avoir des effets indésirables sur les personnes qui luttent contre des pensées suicidaires », met en garde Daisy Buttiens. « Le fait de mettre l’accent sur le travail, sur la résilience et sur le soutien disponible permet de véhiculer un message d’espoir et de renforcer la résilience. »

Le soutien psychologique au travail

Outre le fait de faciliter le dialogue autour du suicide et de veiller à renforcer la résilience (la prévention primaire), l’instauration d’une prévention secondaire sur le lieu de travail a également toute son importance. « Aujourd’hui, les employeurs peuvent largement offrir un soutien psychosocial sur le lieu de travail. Dans le cadre des formations Premiers Secours en Santé Mentale, les responsables apprennent à identifier les signes précoces de difficultés mentales. Mais ils apprennent aussi comment amorcer le dialogue et, si nécessaire, comment orienter la personne pour qu’elle bénéficie d’un accompagnement professionnel, ce qui est tout aussi important, si pas plus. Ce n’est pas un luxe quand on sait que le suicide chez les hommes représente la première cause de décès entre 14 et 54 ans. »

Comme c’est déjà le cas chez nos voisins anglo-saxons, l’Employee Assistance Program a également fait son apparition dans notre pays. Kirsten O : « Cette formule prévoit un nombre de séances payées par l’employeur auprès d’un psychologue en cas de difficultés psychiques, pour le salarié et les membres de sa famille. Cela favorise énormément le recours à une aide professionnelle et permet d’éviter des délais d’attente parfois longs. Pour les collaborateurs, la stricte confidentialité permet également d’instaurer un contexte rassurant, qu’ils ne trouvent pas forcément ou ne pensent pas pouvoir trouver suffisamment sur le lieu de travail. »
 

L’importance des modèles

Les employeurs peuvent largement contribuer à lever le tabou du suicide en créant un contexte dans lequel les difficultés mentales ne sont pas perçues comme un signe de faiblesse. « Des personnalités politiques comme Sophie Wilmès ou Elke Decruynaere posent d’ailleurs un geste extrêmement fort en se mettant en retrait et en faisant passer leur propre bien-être ou celui des autres en premier. En montrant leur vulnérabilité, ils font preuve d’une grande force. Nous avons besoin de tels modèles, sur le lieu de travail également », conclut Daisy Buttiens.

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Formation 'Premiers Secours en Santé Mentale'

Les dirigeants apprennent des techniques qui leur permettront de reconnaître des problèmes mentaux chez leurs collaborateurs, d’accompagner les collaborateurs concernés et de faciliter leur réintégration après une longue absence.

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